X
Pendant de longues semaines, W’rn demeura dans la hutte de la vieille femme. Incapable de marcher sur sa cheville, il attendit patiemment que le temps fasse son œuvre. De toute façon, il n’avait aucune raison de sortir. Chaque jour, ses jolies concubines lui apportaient à manger, s’occupaient de le laver et de brosser ses poils et alimentaient le feu de branches de myrrhe. Bien étendu sur un lit de feuilles que l’on changeait tous les jours, le Râjâ jouissait pleinement de sa convalescence. Celui-ci dormait de longues heures et rêvait, de jour comme de nuit, qu’il était devenu un pharaon encore plus puissant que Mérenptah. Il était constamment euphorique, et le moindre insecte volant dans la hutte le faisait rire aux éclats. Sexuellement disponible en tout temps, il arrivait parfois que ses habituelles concubines fussent remplacées par d’autres. Il leur faisait l’amour sans poser de questions et retombait bien vite dans les limbes. La myrrhe lui enlevait toute volonté, toute forme d’agressivité et le rendait aussi passif qu’un lion repu dans la savane.
Il y en avait bien une, plus petite et plus mignonne que les autres, qui semblait jalouse lorsque d’autres femmes s’approchaient de lui. Bien qu’elle fût sa préférée, il n’avait pas la force de repousser les autres pour ne se donner qu’à elle. Cette petite femme au corps ferme, qui se peignait toujours la moitié du visage en blanc, ne quittait le Râjâ que lorsque le chef l’exigeait. Celui-ci devait entrer dans la hutte et la sortir de force. Remplacée par d’autres femmes auprès de W’rn, elle rageait en silence. Elle faisait ensuite longuement la moue, mais cela ne dérangeait pas le Râjâ. Aussitôt qu’elle le pouvait, elle retournait se coller contre le corps de son amant. Contrairement aux autres jeunes femmes du village qui s’accouplaient avec W’rn dans l’espoir de devenir rapidement enceinte, la petite Sumuhu’alay, qui était la fille du chef, était tombée amoureuse de cet esprit sorti miraculeusement du lac.
Ce fut elle qui fut chargée de rendre W’rn présentable pour la grande cérémonie de la pleine lune. Pendant toute la journée, elle le prépara à apparaître devant son peuple. Patiemment, elle tressa tous les poils de son corps en de petites nattes dans lesquelles elle inséra des pierres brillantes et des sculptures de bois miniatures. Elle lui passa ensuite un pagne de couleur vive et décora son cou et ses épaules d’une large couronne de fleurs. Le Râjâ, toujours aussi drogué par la myrrhe, se laissa faire sans rouspéter. Il trouva même très amusant de se voir orné de pétales.
— W’rn ? Tu m’écoutes ? lui demanda la jeune femme dans sa langue. Ce sera le moment d’annoncer à mon père que tu ne désires que moi. Si tu le lui dis, il sera bien obligé de t’écouter. Je m’occuperai bien de toi et tu ne seras pas déçu. Je sais qu’il a d’autres plans pour toi, mais sois ferme et nous aurons la hutte à nous seuls. Tu me comprends ?
Le Râjâ ne saisit pas un seul mot de ce que lui raconta Sumuhu’alay. Il se contenta de sourire et de balbutier quelques borborygmes incompréhensibles pour l’imiter. La jeune femme insista.
— Écoute-moi, W’rn ! Comme tu fais l’amour avec toutes les jeunes femmes de la tribu, les autres mâles sont jaloux. Tu comprends ? Tu ne peux pas toutes les avoir ! Je sais que pour mon père, cela fait peu de différence, car ta semence est sacrée et de grands guerriers naîtront de tes accouplements. Mais les autres hommes digèrent mal que tu engrosses leurs femmes ! Si ça continue, ils te le feront payer… Tu comprends, W’rn ?
Encore une fois, le message tomba à plat et le Râjâ se mit à rire. Comme il tentait d’enlever les vêtements de paille de Sumuhu’alay pour lui faire l’amour, le chef entra dans la hutte. Il fit signe à sa fille et à W’rn de le suivre.
Ce ne fut qu’après de longues minutes que le Râjâ réussit à se mettre sur ses pieds et, aidé par Sumuhu’alay, il sortit de ses quartiers en boitant. Ensemble, ils marchèrent lentement jusqu’au centre du village où des joueurs de percussions commencèrent à battre le rythme. Le soleil venait à peine de se coucher et une belle lune ronde éclairait le ciel.
L’air frais de la soirée lui fit grand bien. Pour la première fois depuis le début de sa convalescence, le Râjâ avait l’impression d’avoir les idées plus claires. Ses pensées étaient de moins en moins embrouillées, et il constata avec stupéfaction qu’il se trouvait au beau milieu d’une danse rituelle. Sur un autel de pierre était étendu un homme à la peau brune, ligoté et bâillonné. Autour, des sorciers, habillés de vêtements de cérémonie, suivaient le rythme des tambours en poussant des cris stridents. De toute évidence, l’homme allait être sacrifié à la lune.
Au grand déplaisir de Sumuhu’alay, quelques femmes vinrent chercher W’rn afin qu’il danse avec elles. Le Râjâ s’exécuta sans trop d’ardeur. Sa cheville était aussi raide qu’une branche d’arbre et le faisait encore souffrir. Alors qu’il commençait à peine à se réchauffer, le chef fit taire les tambours et demanda à trois des partenaires sexuelles de W’rn de le rejoindre. Gênées, les jeunes femmes s’avancèrent timidement vers lui. Fier comme un paon, l’homme annonça à toute la tribu qu’elles étaient enceintes et que, bientôt, elles donneraient naissance aux fils et aux filles du djinn des eaux du lac. Sans comprendre les mots de ce discours, le Râjâ sut de quoi il était question. À ses côtés, Sumuhu’alay bouillait de rage.
Une fois l’annonce terminée, le rythme des tambours reprit de plus belle. Pour la première fois depuis son arrivée dans ce village, le Râjâ comprit qu’il avait été drogué et abusé. Non pas que l’expérience lui eut déplu, mais les conséquences de ses aventures à répétition étaient bien tangibles. Bientôt, il allait être le père d’enfants provenant de trois femmes différentes. Et ce n’était qu’un début, puisqu’il avait certainement copulé avec une vingtaine d’entre elles.
— C’est trop tard pour nous, dit Sumuhu’alay au Râjâ. Je voulais être la seule à porter tes enfants et voilà que ces idiotes sont enceintes de toi. Il ne me reste plus qu’une chose à faire !
La jeune femme quitta le Râjâ et disparut, honteuse, dans la foule. Celui-ci s’en soucia peu et continua à se questionner sur sa présence dans la tribu. Qui était-il pour ces gens, et pourquoi l’avaient-ils accueilli de cette manière ? Dans quel but l’avait-on accouplé à plusieurs femmes et que devrait-il faire lors de cette cérémonie pour laquelle, de toute évidence, sa présence était requise ?
L’instant suivant, W’rn comprit ce qu’on attendait de lui. Le chef lui tendit un grand couteau taillé dans une pierre verte et l’invita à se rendre près de l’autel. Manifestement, il devait accomplir le sacrifice.
Armé, le Râjâ s’approcha de la victime. Il s’agissait d’un homme d’une trentaine d’années dont le visage présentait des traits égyptiens tout à fait communs. Une petite barbe et des cheveux courts trahissaient ses origines nobles. Ce n’était pas un guerrier, encore moins un aventurier. Peut-être était-il scribe. Comment s’était-il retrouvé entre les griffes de cette tribu du pays de D’mt ? Difficile à dire. Une chose était sûre, c’était qu’il allait bientôt mourir des mains du grand W’rn.
Comme le lui demandait le chef, le Râjâ leva le couteau sacrificiel au-dessus de la poitrine du condamné. Il regarda une dernière fois son visage et, comme il allait s’exécuter, son attention fut attirée par les yeux et le nez de cet homme. Cette figure lui était familière.
Au grand dam du chef qui réclamait tout de suite le sacrifice, W’rn baissa les bras et débâillonna le scribe. Celui-ci, heureux de pouvoir enfin s’exprimer, grogna dans la langue des Thraces.
— Tu allais m’égorger, petit morveux !
Le Râjâ fit un pas en arrière et regarda l’homme comme s’il s’agissait d’un revenant. Il reconnut Sénosiris, ligoté devant ses yeux sur l’autel.
Les tambours se turent.
— Sors-moi de là ! Tu entends ? fit l’Égyptien en colère. Trouve quelque chose à dire ou à faire, mais détache-moi au plus vite !
La langue des Thraces était si douce aux oreilles du Râjâ qu’il lui fallut encore quelques secondes avant de bouger. Aussi confus que content de revoir son ami, il approcha le couteau de l’Égyptien et coupa la corde qui le retenait attaché à l’autel.
À ce moment, un grand cri, suivi d’un deuxième, puis d’un troisième, vinrent troubler la scène. Sumuhu’alay venait d’égorger les trois jeunes femmes enceintes de W’rn. La meurtrière commença alors à menacer de son arme les autres partenaires sexuelles de son amant, ce qui causa un désordre considérable au sein de la tribu. Le chef, désirant rétablir l’ordre, s’approcha de sa fille en la menaçant, mais celle-ci en profita pour le transpercer de son poignard. Hurlant comme une bête en furie, Sumuhu’alay cria que W’rn était à elle et que personne ne le lui prendrait.
— Et si nous en profitions pour leur fausser compagnie ? suggéra Sénosiris au Râjâ.
— Oui – partir, répondit celui-ci en deux mouvements.
Aussitôt, Sénosiris descendit de l’autel, et les deux amis quittèrent la grande place du village et déguerpirent dans la forêt. Malgré sa cheville endolorie, le Râjâ n’eut aucun mal à suivre l’Égyptien entre les arbres. Ce ne fut qu’après une bonne heure de marche dans la jungle qu’ils s’arrêtèrent afin de s’assurer qu’ils n’étaient pas suivis. Sénosiris serra alors le jeune homme entre ses bras.
— Il y a si longtemps que je te cherche, dit-il avec émotion. Si tu savais par où je suis passé pour essayer de te retrouver… Comme tu as grandi ! Tu es un homme maintenant ! C’est si bon de te voir.
— Moi – croire – toi – mort, lui dit le Râjâ qui avait les larmes aux yeux. Pourquoi – toi – abandonner – moi ?
— Mais cesse de dire des âneries, je ne t’ai pas abandonné ! s’exclama Sénosiris, contrarié. Nous étions sur le bateau, tu te rappelles ? C’était la tempête, et les vagues étaient aussi hautes que des montagnes. Je t’ai tendu une corde en te demandant de la passer autour de tes hanches. Puis, une vague a surgi de nulle part et elle t’a soulevé ! Je t’ai vu tomber dans la mer… Tu étais à quelques coudées de moi et j’ai essayé de te rattraper. Mais c’était peine perdue… Déjà, l’onde t’éloignait du bateau… tu te rappelles ? Dis-moi que tu n’as pas tout oublié ?!
Des images, aussi claires que si l’événement s’était déroulé la veille, émergèrent de la mémoire endormie du Râjâ.
— Oui. Moi – rappeler.
— Moi aussi, je t’ai cru mort, et j’ai navigué de longues heures en espérant retrouver ton corps, mais les étoiles m’ont clairement indiqué que ton destin n’était pas de mourir en mer. Mais je te raconterai tout cela plus tard. Pour l’instant, il vaut mieux quitter cet endroit.
— Eux – penser – moi – être – créature – lac.
— Peu m’importe ce qu’ils pensent de toi, mon ami ! lança Sénosiris. Le royaume de D’mt est peuplé de mangeurs d’hommes. Ils allaient me sacrifier pour ensuite me découper en morceaux. Ce ne sont pas des êtres humains, ce sont des animaux ! Nous devons quitter rapidement cette vallée… à moins que tu aies pris goût à la chair humaine et que tu désires les rejoindre ?
Troublé par cette insinuation, le Râjâ repensa au corps de la vieille femme qu’il avait tuée et passa en revue les événements qui avaient suivi sa mort. Tandis que la myrrhe commençait à faire son effet, il avait vu, par l’entrée de la hutte, les habitants du village se lancer sur le cadavre encore chaud de la femme et le dévorer tout cru. Il se souvint de la bataille autour de la dépouille ; chacun se bousculait pour lui arracher un morceau de peau ou encore un bout de doigt. À ce moment, il avait ri en admirant le macabre spectacle. La drogue faisait son effet.
Puis il se rappela avec dégoût que Sumuhu’alay lui avait apporté une pièce de viande gorgée de sang qu’ils avaient mangée blottis l’un contre l’autre avant de faire l’amour. Il s’agissait peut-être du foie de la vieille femme, ou encore de son cœur. Cette seule idée le fit régurgiter aux pieds de Sénosiris.
— Je viens de t’apprendre une nouvelle ? À ce que je vois, tu ne savais pas pourquoi les aventuriers qui se perdent dans ce royaume n’en reviennent jamais ! Eh bien, maintenant, tu sais que c’est parce qu’ils finissent tous dans le ventre de tes nouveaux amis…
— Moi – désolé.
— Marchons vite avant qu’ils retrouvent notre trace…
Mais il était trop tard. Le Râjâ perçut une forte odeur de sueur et sut immédiatement qu’on les avait rejoints. Sans dire un mot, il mit la main sur l’épaule de l’Égyptien.
— Derrière – nous – les – D’mt, dit-il en quatre signes distincts. Huit – hommes – armés. Toi – au – sol – moi – attaquer.
— Ne fais pas l’imbécile, murmura Sénosiris aux yeux de qui les ténèbres voilaient la présence des ennemis. Tu ne peux pas venir à bout de ces guerriers à toi seul…
Le Râjâ sourit et se retourna vers les guerriers de D’mt. Se sachant pointé par leurs lances et leurs flèches, il bondit comme un fauve sur le tronc d’un arbre et l’escalada en un battement de paupières. Les hommes le perdirent alors de vue en se demandant s’il ne s’était pas envolé. Grâce à sa vision qui pouvait percer le voile de la nuit, le Râjâ repéra la position de ses ennemis et bondit sur le premier. Le guerrier eut à peine le temps de comprendre qu’il était attaqué qu’il s’affaissait, le cou broyé, sur le sol.
— Sept.
En saisissant la lance de sa victime, le Râjâ transperça un second guerrier qui s’avançait vers lui. L’arme lui traversa le ventre.
— Six.
Rapide comme l’éclair, le Râjâ fonça alors à toute vitesse vers quatre archers qu’il désarma sans peine. Ceux-ci n’eurent pas plus de chance que leurs compagnons et furent égorgés par les puissantes griffes de la créature.
— Deux.
Toutes ses années d’entraînement au combat en compagnie des maîtres d’armes de Mérenptah avaient eu du bon. Même sans épée, le Râjâ savait exactement où frapper un adversaire afin de l’éliminer efficacement. De plus, avec sa force surhumaine et sa rapidité animale, il savait qu’aucun homme ne pouvait lui tenir tête bien longtemps. Ce fut ainsi que le Râjâ s’avança tout près de ses deux derniers adversaires ; il défonça le crâne du premier d’un seul coup de poing. Comme il allait terminer son massacre, ses yeux tombèrent sur Sumuhu’alay.
Dans un rayon de lune, le Râjâ vit deux grosses larmes couler sur les joues de la jeune femme. Troublé, il baissa sa garde et demeura immobile devant elle. Longtemps, les deux amants se regardèrent sans savoir comment réagir. Ce fut alors que Sumuhu’alay tendit la main vers W’rn, l’invitant à regagner le village avec elle.
— Viens, W’rn ! lui dit-elle, émue, d’une voix douce, rentre avec moi dans la hutte. Je serai à toi seul maintenant, et plus aucune autre femme ne viendra troubler notre paix. Je t’aime de tout mon cœur et je ne veux pas te perdre. Tu comprends, W’rn, tu es ce qu’il y a de plus important pour moi… Viens avec moi, W’rn, rentrons chez nous…
Bien que le Râjâ n’eût aucune idée de ce que Sumuhu’alay lui disait, il en comprit l’essentiel. Même si cette jeune femme était anthropophage, elle l’avait toujours traité avec une tendresse infinie. Elle avait dans les yeux une telle sincérité et un tel amour que le Râjâ envisagea sérieusement de revenir avec elle au village. Après tout, la tribu le considérait comme un dieu et s’occupait merveilleusement bien de lui. Il n’y avait que des avantages à vivre dans cette hutte, euphorisé par la drogue et dorloté par une femme. Et puis, Sumuhu’alay était jolie, avec ses étranges maquillages et son dialecte incompréhensible. Ils auraient ensemble de beaux enfants…
Se laissant glisser dans ce songe éveillé, le Râjâ commença à sourire, puis à rire. Devant cette réaction, Sumuhu’alay fit de même. Son plan fonctionnait à merveille ; dans sa main, au bout de son bras tendu affectueusement vers W’rn, la jeune femme tenait de la myrrhe entre ses doigts.
Ce fut à ce moment que Sénosiris intervint et qu’il assomma d’un coup de branche la jeune maîtresse de son protégé. Celle-ci tomba face contre terre en échappant la drogue.
— Allez, vite ! fit l’Égyptien en empoignant le Râjâ par le bras. Il faut quitter cette jungle maudite… Bouge ! Allez, bouge-toi un peu !
Lentement, la marche rapide aidant, les vapeurs de myrrhe se dissipèrent.
— On dirait que ça va mieux ! Je me trompe ? s’enquit Sénosiris qui avançait d’un pas rapide en poussant le Râjâ devant lui.
— Oui. Mieux…, répondit celui-ci en quelques signes. L’odeur – cette – fille – si – bon. Doux.
— Je comprends, elle puait la myrrhe à plein nez ! Tu trouves vraiment ce parfum agréable ?
— Oui. Merveilleux.
— Moi, je le trouve agressant, surtout lorsqu’il y en a trop…
— Non. Merveilleux.
— Chacun ses goûts ! Mais dis-moi, c’était ta petite amie, ça ?
— Oui.
— Je suis vraiment désolé de l’avoir assommée, mais je ne voyais pas d’autre solution pour que…
— Ça va. Elle – aimer – moi. Mais – moi – pas. Moi – aimer – seulement – odeur.
— Tant mieux…, rigola Sénosiris. C’est toujours un peu embêtant d’avoir une épouse anthropophage. On ne sait jamais lequel de tes copains ou des membres de ta famille elle va découper en morceaux !
— Pas – drôle.
— Tu as raison, ce n’est vraiment pas drôle ! lança Sénosiris dans un éclat de rire. Il n’y a vraiment rien de drôle là-dedans ! Je te perds en mer et je te retrouve dans les bras d’une mangeuse d’hommes… Attends que je raconte ça à Électra ! Elle va vouloir me tuer !
En s’imaginant la scène, le Râjâ eut un léger sourire.
— Alors, comment s’est déroulé votre voyage en Égypte ? continua l’Égyptien en imitant la reine. Très bien, chère Électra. Votre fils a dû s’exiler du pays et le pharaon ne veut plus jamais le revoir ! Mais heureusement, tout n’est pas négatif. Il s’est fait une jolie copine au pays de D’mt… Je suis certain qu’elle va vous adorer, en sauce avec des champignons !
Le Râjâ commença à rire de bon cœur.
— Et que nous rapportez-vous de ce voyage ? fit Sénosiris en personnifiant toujours Électra. Euh, finalement, rien ! Nous avons fait tout ce chemin pour… rien !
Devant ce constat peu reluisant, l’Égyptien et le Râjâ eurent un fou rire explosif. Entre la joie de se retrouver après toutes ces années et l’absurdité de leur voyage qui s’éternisait sans raison, ils rigolèrent comme deux gamins coupables d’une gigantesque bévue. Devant l’échec complet de l’aventure égyptienne, ils ne pouvaient que s’amuser.
Ce fut ainsi qu’ils réussirent à marcher jusqu’aux limites de la jungle et qu’ils abandonnèrent derrière eux le peuple du royaume de D’mt.
Cette nuit-là, tandis que W’rn quittait à tout jamais Sumuhu’alay, la jeune fille rentra seule au village. En larmes, elle pleura toute la nuit dans la hutte de son amant et pria tous les dieux pour qu’il revienne rapidement vers elle. Le lendemain, elle passa la journée tout près de la chute où il était apparu des semaines plus tôt, mais l’esprit du lac demeura invisible.
Ce ne fut que quelques semaines plus tard que Sumuhu’alay recouvra son sourire. Son ventre s’était arrondi. La semence de W’rn grandissait en elle. Comme la jeune femme l’avait souhaité, elle mettrait au monde le fruit de leur union sacrée. W’rn n’était plus là pour la serrer dans ses bras, mais sa progéniture, elle, le remplacerait bientôt. Sumuhu’alay garderait à tout jamais le souvenir de ses nuits avec lui et des moments heureux qu’ils avaient vécus ensemble. Ils avaient eu des instants bénis et des fous rires intenses. Malgré ses allures sauvages et animales, W’rn avait été d’une tendresse infinie avec elle. Beaucoup plus que ses anciens amants, des garçons de la tribu qui ne désiraient la prendre que pour assouvir leurs instincts.
Quelques mois plus tard, au terme d’une grossesse accélérée, les habitants du royaume de D’mt virent naître trois petits W’rn poilus. Ceux-ci allaient être élevés comme des membres à part entière de la tribu et, sous les attentions particulières de leur mère, ils deviendraient de véritables petits anthropophages constamment en quête de chair et de sang humains.